Acteurs multiples, circuits complexes, données parfois informelles, volumes considérables, la pharmacovigilance s’assimile souvent à un fastidieux travail d’enquête pour identifier et comprendre les effets indésirables d’un médicament. Un domaine tout indiqué pour l’intelligence artificielle qui peut apporter une aide précieuse aux professionnels de santé sur ces questions. Regards croisés sur un partenariat gagnant.
LA COMPLEXITÉ DE LA PHARMACOVIGILANCE
Sous l’égide des deux entités de référence que sont l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Agence Européenne des Médicaments (European Medicines Agency - EMA), de nombreux circuits de pharmacovigilance existent. Les patients peuvent déclarer euxmêmes depuis 2011 leurs effets indésirables (EI), tout comme les professionnels de santé doivent le faire pour leurs patients. La déclaration peut se faire par téléphone vers un laboratoire ou via internet, le plus souvent vers une autorité de santé.
Ainsi les effets indésirables d’un médicament se retrouvent dans la base de données du laboratoire concerné, mais sont également regroupés dans la base européenne de pharmacovigilance Eudravigilance (gérée par l’EMA). Certains effets sont déjà décrits et publiés dans la littérature médicale et sont consultables dans la base de données bibliographique MEDLINE, qui regroupe une vingtaine de millions d’articles médicaux et qui est à ce titre un outil de référence pour les chercheurs et les médecins.
De plus « De nombreux d’effets indésirables circulent également sur les forums de discussion et autres réseaux sociaux, précise Claude touche, le directeur général d’eVeDrug. Il y a un intérêt pour les laboratoires de surveiller les forums dont ils sont partenaires mais aussi les réseaux sociaux d’une manière générale. C’est là tout l’intérêt de nos solutions d’étendre la pharmacovigilance « classique » à une pharmaco-surveillance plus globale permettant de mieux anticiper les risques. »
On le voit, le volume de données à intégrer est colossal. Pourtant, c’est bien le rôle de la pharmacovigilance. Salim Laghouati est le responsable de l’unité fonctionnelle de pharmacovigilance de l’institut Gustave Roussy. Son unité recueille les effets secondaires post AMM (Autorisations de Mise sur le Marché) mais aussi en cours d’essais cliniques. « Dans le cadre des essais cliniques, nous avons l’obligation d’assurer une veille bibliographique et d’adapter nos protocoles aux éventuels nouveaux risques détectés.
Il est impossible pour nous de rester à jour sur les dernières publications et la détection de signaux. L’IA générative peut nous aider en automatisant le processus de revue et de résumé des articles scientifiques et des essais cliniques pertinents. Cela nous permet de gagner du temps, mais aussi de garantir qu’aucune information critique n’est négligée.
Et pour appuyer ses dires, le responsable explique que plusieurs centaines de molécules sont actuellement évaluées dans des essais cliniques au sein de l’Institut Gustave Roussy. « Pour chacune d’entre elles, 60 à 80 publications sortent tous les ans ! Il est indispensable que l’IA automatise la recherche de mots-clés et l’analyse de ces résultats. »
IMPUTABILITÉ EXTRINSÈQUE ET DÉTECTION DES SIGNAUX
C’est justement ce à quoi s’emploie eVeDrug, notamment dans le domaine de l’imputabilité. Les professionnels de la pharmacovigilance doivent évaluer la relation de cause à effet entre l’administration d’un médicament et la survenue d’un effet indésirable. Actuellement, les bases de données des laboratoires permettent de définir une imputabilité dite “intrinsèque“, à un instant T. Mais il existe aussi une imputabilité “extrinsèque“, prenant en compte l’historique de l’effet indésirable depuis sa découverte. Elle est établie à partir des ouvrages de référence en pharmacovigilance, des publications préalables ou des cas enregistrés dans les bases (nationales ou internationales) de données de pharmacovigilance. Elle peut elle-même être renforcée par des critères de présence de l’effet indésirable au niveau européen dans Eudravigilance.
« D’une manière très imagée, détaille Claude Touche, prenez toutes ces sources de données puis faites-en une synthèse “à la sauce ChatGPT“, et vous aurez une bonne vision des conditions d’apparition de l’effet indésirable et donc, à terme, une amélioration du bénéfice-risque lié au médicament concerné. »
L’autre aspect primordial aux yeux de Salim Laghouati, c’est la détection de signaux. « L’IA générative doit nous aider à faire de la détection de signal. Par exemple : quelle catégorie de patients présente plus souvent tel ou tel effet indésirable, quels sont les facteurs de risques associés ou les traitements concomitants que l’on retrouve le plus souvent chez les patients qui présentent ces effets indésirables… ».
Un aspect très aidant des outils eVeDrug à ce propos est la hiérarchisation des signaux de sécurité. Ils sont catégorisés en fonction de leur sévérité, de leur impact potentiel sur la santé ou sur le suivi du patient. Ils analysent ainsi le contexte et les modèles dans les rapports d’événements indésirables et hiérarchisent ceux qui nécessitent une attention immédiate.
A terme, une des attentes de la profession est de s’orienter vers une pharmacovigilance de plus en plus prédictive. « A partir des données “historiques“, on pourrait anticiper quels seraient les risques potentiels chez tel ou tel groupe de patients, pour tel ou tel médicament, espère Salim Laghouati. Il serait alors possible de prévoir des mesures préventives et un suivi spécifique pour les patients concernés. »
Marion Bois
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